
Dans les sociétés dites traditionnelles, les ancêtres sont présents dans le quotidien des vivants. Ces cultures, souvent orales, nécessitent une transmission du savoir liée à l’environnement dans lequel ils vivent pour réussir à composer et ne pas se laisser « décomposer » par les dangers cachés dans des milieux a priori hostiles. Les humains et les vivants non-humains sont en interaction permanente.
Dans nos sociétés aseptisées où les vivants non-humains ont été manipulés au point d’atteindre la docilité ou l’éradication, nous vivons à distance des plantes et des animaux sans ne jamais les rencontrer dans leur authenticité. Cette coupure qui fut salutaire pour le développement de nos sociétés, devient problématique à force d’éloignement et d’impossibilité à nous imbriquer dans la complexité de notre écosystème.
En tant qu’humain vivant dans un monde occidentalisé, je n’ai pas reçu en héritage la possibilité de dialoguer avec les vivants non-humains, je suis incapable de composer avec eux. Cherchant à réparer cette coupure, je me suis mise à imaginer mes propres ancêtres qui auraient eu un caractère tellurique ou une interaction avec les vivants non-humains. Je les mets en scène tels des esprits qui reviennent hanter notre présent, stoïques, effarés ou consternés, en constatant notre trop grand écart avec le reste du vivant.
Leur apparence, proche de la photographie, simule leur existence présumée, bien qu’en regardant de très près, le dessin s’écarte légèrement du grain photo pour suggérer des paysages. Le crayon graphite permet d’affirmer les aspérités qui couvrent leur corps, comme s’ils étaient des êtres vivants en symbiose avec des micro-organismes. La surface de leur peau est un prolongement du paysage dans lequel ils évoluent. Leurs attitudes rappellent parfois celles des portraits de l’histoire de l’art qui m’ont marqué. Le testament de l’art serait-il ce qu’il me reste d’ancestralité active ?