





Une forme de fiction s’impose de plus en plus à moi comme si je cherchais à habiter dans un monde parallèle. Dans ce monde, j’aspire à un équilibre édénique entre les vivants humains et les vivants non-humains. Mais très vite, ma volonté de cosmogonie naïve se heurte à une donnée inévitable qui est que pour vivre, tout organisme vivant doit se nourrir d’autres organismes vivants. Pour assurer la viabilité d’une structure vivante tel qu’un corps humain, il faut procéder à l’ingestion d’autres êtres vivants. Pour composer notre propre état d’équilibre, il faut décomposer nos prolongements non-humains. Alors, pour maintenir l’équilibre et le respect des vivants non-humains, il me reste à accepter mon propre état de lente décomposition. De cette façon, je deviens à mon tour la nourriture des vivants non-humains. J’apprends à accepter que mon corps puisse devenir une offrande. Les visages craquelés de mes personnages fictionnels sont le témoignage de ma lente désintégration. A y regarder de près, ces surfaces terreuses ressemblent à des vues satellites de la surface d’une planète. Ces terres anthropomorphes sont bordées parfois de végétaux tantôt parasites, tantôt symbiotiques. Les animaux vivent sur ce corps humain comme sur un biotope, se nourrissant de ce qu’ils y trouvent et y habitent parfois.
Dans le choix des mises en scène, les références à la culture occidentale s’imposent comme des figures latentes. Ces portraits n’échappent pas à l’évocation des visages présentés de trois-quarts de la Renaissance. Période où notre modernité a émergé pour élaborer peu à peu notre domination mais aussi notre suprême arrogance vis-à-vis du reste du vivant. Ces figures historiques me hantent et produisent en moi un sentiment de beauté terrifiante. Pour les exorciser, j’essaie – comme par transfert – de leur donner le rôle de personnages littéraires ou cinématographiques qui ont tenté de s’écarter des catégories brutales de nos systèmes de pensées.
Enfin, le dessin au crayon où la proportion de carbone est un peu plus forte que dans les crayons graphites plus classique, permet d’obtenir des valeurs de gris jusqu’au noir profond qui peut entrer en rivalité avec l’aspect photographique. L’imitation du rendu photographique – que nous avons intégré par convention comme un témoignage de la réalité – cherche à rendre plus présent cette fiction.